"A la chine " mais j'en pleurerais... (Patrice Alteirac)

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Écrit par Administrator   
Mardi, 26 Août 2008 22:20

"A la chine " mais j'en pleurerais...  (Patrice Alteirac, né en 1947)

 

Merci Marc d'avoir fait resurgir ces moments.

Les noyaux d'abricots, c'est le premier souvenir qui me revient à propos de Volta, mais "à la chine", j'avais oublié.

Allez, je te tutoie, bien que tu soies un "Castellani" et moi un "Baldenweg", une frontière entre nous en somme. Cette omniprésence de la frontière, du choix à faire, de la séparation, çà a commencé tout de suite.

Après Mme Richard à Dujonchay, il y avait deux classes dans les préfabriqués en bas de la cour de récréation : je me suis retrouvé avec Mr Rongeat, séparé de ceux qui allaient dans la classe de Mr Aïd-Kaci. Et çà a continué : à Alger, il y avait ceux qui étaient à Gautier, et ceux du lycée Bugeaud, qui achetaient leur pain chez Montiel et pas chez "Vitamine".

Jusqu'au président de l'association "Coup de soleil", il y a quelques années, qui me dit avec un grand éclat de rire, après que j'aie décliné mon origine : "Ah, moi je suis d'Oran, nul n'est parfait".

A croire que tout cela était destiné à nous préparer à la Grande Séparation, au choix ultime de 62. J'en ai gardé une aversion profonde pour les frontières, et toutes ces catégorisations imbéciles qui divisent les hommes. Une volonté de dépasser cette cassure vieille de 40 ans et de lutter pour le rapprochement avec un pays et un peuple dont je me sens encore très proche et solidaire aujourd'hui.

Et aussi une reconnaissance infinie pour ces "maîtres" qui nous ont forgés à Dujonchay, Volta, Gautier. Je vois encore la blouse noire de Baldenweg, ses cheveux soigneusement frisés et gominés, j'entends encore sa voix légèrement nasillarde pendant qu'il me faisait lever de mon banc en me tordant l'oreille, grimaçant de douleur, et rouge de honte.

Avec mon copain Franck Simian, il nous avait surpris les poches pleines de morceaux de caoutchouc : en descendant la rue Michelet - j'étais au 108, lui au 117 en face de la basilique -, on avait fait un concours ; à celui qui piquait le plus de ces petits bouchons qui se trouvaient sur les capots arrière des 4CV, juste en dessous du bouchon d'essence. On avait gagné des bleus au bout des doigts et une oreille encore rouge en rentrant à la maison.

Castellani, nous les "Baldenweg" on le redoutait. Quand il surveillait la récré, il avait autour de lui une petite escouade désignée parmi ses élèves. Je crois bien qu'on les appelait ses chouchous pour se moquer. Quand il avait repéré une bagarre il donnait un coup de sifflet et pointait un doigt accusateur sur le ou les fauteurs de troubles. En un instant, sa garde prétorienne descendait du préau et fondait sur le ou les malheureux pour le ramener au maître, comme du gibier. Je crois bien aussi qu'à la sortie, quand on avait repéré un "chouchou" tout seul dans la rue, on lui faisait payer sa collaboration.

Aujourd'hui, je me dis que j'ai eu beaucoup de chance de vivre tout çà, et d'avoir eu l'adresse de ton site par mon frère.

Merci milles fois,

Patrice Alteirac ( à l'époque on écrivait Altairac ), citoyen du monde.