Les anciens élèves de l’école Volta se souviennent des récréations, et, de ces parties homériques sous le figuier où les noyaux d’abricot servaient à la fois de monnaie d’échange et remplaçaient les billes dans nos jeux d’enfants.

Un peu comme sur un marché, les élèves assis autour du grand arbre exhortaient les « joueurs » à venir tenter leur chance avec eux plutôt qu’avec le voisin.

Les « marchands » criaient à tue-tête, « À qui tire, tape sec ! » pour inciter et tenter les indécis.  Cette onomatopée répétée à l’envi par toute la meute d’apprentis croupiers faisait monter l’adrénaline comme dans un vrai casino.

Mais à Volta, plus que de la chance, c’est de l’adresse qu’il fallait.

Un premier jeu consistait à lancer des noyaux sur une petite pyramide de quatre placée au pied de la margelle en ciment. Le gagnant était celui qui parvenait à casser le tas ; il empochait alors la totalité des mises « lancées » par les perdants.

D’autres « croupiers » amenaient une boîte à chaussures, qui servait aussi de coffre-fort pour les précieux « jetons abricot ». Le couvercle était percé d’orifices de tailles différentes et les viseurs adroits gagnaient un nombre de noyaux inversement proportionnel à la grosseur du trou.

Le nec plus ultra était les noyaux peints méticuleusement par des artistes en herbe, à l’encre rouge, violette ou bleu des mers du sud. Ces différents coloris avaient valeur d’or, d’argent, ou de platine car ils étaient rares et valaient donc beaucoup plus.

Mieux que les bons points, les images, ou les bonnes notes, c’était joyeux et fier comme Artaban que nous ramenions à la maison ces trophées précieux comme des cabochons de rubis, d’améthyste, ou de saphir….

Pour transporter ces graines de valeur, nous utilisions un sac en coton de couleur blanche avec un lacet qui coulissait pour ne perdre aucun noyau. A la fin de la récréation, le sachet était ramassé au fond du cartable, à l’abri de la tentation d’un joueur malchanceux ou d’un habile pickpocket.

Dans la cour, nous ramassions parfois de belles fleurs de couleur rouge tombées d’un arbre élancé. Ce n’est que plus tard que je sus qu’il s’agissait du tulipier du Gabon et ce n’est qu’en faculté de pharmacie que je pus mettre le nom latin sur ce végétal flamboyant.

De la famille des Bignoniacées comme la liane aurore à l’orange floraison, ce Spathodea campanulata de ma prime jeunesse est peut-être la raison d’une vocation tardive pour la Botanique.

Les jardiniers novices que nous étions alors, s’amusaient avec ces fleurs car elles contenaient un peu d’eau, et, évidemment, le jeu consistait à la faire dégouliner sur un voisin inattentif en crevant la corolle avec les ongles. Nous appelions cette fleur « pisse-l’eau » ce qui est peu flatteur mais correspond au nom vernaculaire de « fountain-tree » donné par les anglophones.

Les samedi après-midi étaient attendus avec grande impatience et force joie.

Ce jour là, le gymnase du rez-de-chaussée était transformé en salle de cinéma et on nous projetait souvent des films muets, en noir et blanc, avec Charlot, Buster Keaton, ou Laurel et Hardy, qui déclenchaient explosions de rire, contorsions sporadiques, et bourrades du voisin plié en deux.

Rares, à l’époque, étaient ceux qui disposaient d’un poste de télévision et ces spectacles gratuits n’étaient manqués pour rien au monde. Les malades et les convalescents réapparaissaient presque toujours ce jour-là, et il était bien sûr inutile de faire l’appel : 100% de présents le samedi après-midi.

On nous distribuait à  l’entracte un petit pain au chocolat qui était une récompense supplémentaire, et qui aujourd’hui reste pour la plupart d’entre nous comme une madeleine de Proust, irrémédiablement gravée quelque part dans les limbes de notre précieux cerveau.

Bernard Le Bosse (né en 1947)

90 rue Michelet - Alger